No. 29 – Apprendre à dire non pour dire oui, ou le moment où je n’ai pas écouté mes propres limites

Ça y est elle a vrillé, elle s’est mise à lire des livres de développement personnel, à se lever à 4h du matin pour boire du jus de céleri, s’étirer, regarder la ville qui dort et observer la courbe de ses actions. Non mais ça va pas ou quoi ? Rassurez-vous à 4h du matin sauf en cas d’insomnie je dors toujours, (parce que je n’ai pas d’enfant), je déteste le céleri et tous les légumes commençant par “Choux” (j’ai vraiment raté mon diplôme de végétarienne parfaite…), je ne m’étire vraiment pas assez alors qu’illustratrice ce n’est pas le métier le plus actif du monde et je panique une fois tous les 6 mois en me demandant comment l’avenir va se dérouler.

Mais ce n’est pas le sujet du jour ! J’avais très envie de vous parler d’une anecdote vécue cet été qui s’est transformée en une bonne leçon, à savoir le fait d’apprendre à dire non pour soi-même.

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Cet été, j’ai reçu un mail me proposant un projet auquel auquel j’aurais dû dire non mais pour lequel j’ai dit oui. Je n’ai pas signé de NDA1 donc je peux vous en parler sans vous dire précisément de quoi il en retournait mais vous aurez au moins besoin du nom pour qui le projet était pour un peu mieux comprendre ce dont je veux parler. Ce Projet (j’ai mis une majuscule sans faire exprès, je vais la laisser) était à destination des Nations Unies. Un nom plutôt prestigieux donc, en tout cas à mes yeux, assez flatteur aussi au premier regard d’être contactée pour. J’ai reçu ce mail en fin de journée, à l’heure où je n’ouvre normalement plus mes mails pour regarder parce que depuis bientôt 10 ans à mon compte j’ai une règle d’or : je ne travaille pas le soir et je ne travaille jamais le week-end. Ce soir là donc, par erreur, j’ai vu mes mails et j’ai surtout vu cet objet de mail « Potential project – Illustration – United Nations ». 

Curieuse, j’ai ouvert et je me suis dis ok, il est tard mais j’aimerais bien en savoir plus, la personne a l’air de vouloir en savoir plus rapidement aussi et il est est sur un fuseau horaire radicalement différent du mien, proposons-lui de s’appeler et on verra bien ensuite.

On s’est appelé, il était 20h, le projet avait l’air intéressant mais là déjà pendant qu’il me détaillait en quoi il consistait, un petit voyant rouge s’est éclairé dans mon cerveau lorsqu’il a évoqué un délai insensé face à un grand nombre d’illustrations à produire (dans ce cas là ce n’est plus tellement de la création je trouve). J’ai répondu par un « Hum… c’est court mais ok, je pense que ça peut le faire » et ai mis de côté le petit voyant rouge en me disant « oui mais quand même, les Nations Unies. C’est vraiment chouette pour mon portfolio et ça pourrait être super intéressant. Et puis je travaille vite, je pense que j’en suis capable. ». En tout cas c’est exactement ce que j’ai dit à Flavien parce que lui a tiqué un peu plus que moi lorsque je lui ai parlé de l’appel mais a préféré ne trop rien dire (et j’aurais argumenté encore plus dans tous les cas, peine perdue de son côté, laissons-moi faire mes propres erreurs).

Capable oui, je pense que je l’étais, mais à quel prix ? Est-ce que si ça avait été un autre nom j’aurais aussi dit oui ? Les discussions ont donc ensuite poursuivi pendant une semaine. Il a fallu évaluer un budget (bien bas face au nombre d’illustrations et au délai qui devrait à lui seul le multiplier, là encore un voyant s’est allumé mais, les Nations Unies quand même.), travailler sur une illustration d’essai, en les forçant à accepter que je conserve mon style et non à devoir me plier au style qu’ils avaient en tête, je ne suis plus débutante pour accepter un si bas prix et un délai si court (et même si je l’étais, débuter ne devrait pas être un argument pour les clients d’abuser de votre temps et de votre argent) d’en plus dessiner autrement que ce que je fais habituellement. Bref, un début de mise en place en amont d’une signature de contrat, la routine mais en un tout petit peu plus pénible cette fois ci.

Tout roule à peu près mais plein de petits accrocs se mêlent aux journées et surtout, plein de petits voyants s’allument successivement de mon côté. Mon ventre commence à être tendu par le stress et le matin, face à mon écran je ne me sens pas très bien. J’ai presque même un peu envie de pleurer et rien que ça, ça aurait dû vraiment me faire réagir immédiatement et surtout, j’en viens à reléguer ma vie personnelle au second plan quitte à presque envisager d’annuler d’aller boire un verre avec un ami un soir, et même d’être stressée par l’heure à laquelle aller à un feu d’artifice sur le thème de Taylor Swift, vous vous rendez compte ?! Et puis une autre discussion, la dernière avant de signer le contrat le lendemain. « Il va falloir faire des sacrifices pour coller aux fuseaux horaires, faire des appels à 5h du matin de ton côté ».

Pardon ?

Là, c’est de trop, c’est le mot qu’il ne fallait pas me dire, en plus de me demander de faire plus que ce que pour quoi je serais payée et plus que ce que mes compétences me permettent de faire. Le matin à 5h, je dors et ce n’est certainement pas un client qui va me faire changer ça. D’une vingtaine d’illustrations qui seront utilisées dans une vidéo, on passe à devoir faire en plus un storyboard, le tout dans le même budget, dans le même délai. Ce n’est absolument pas ce dont on m’avait parlé en tout début de projet, lors du tout premier appel. Si vous connaissez un peu ce milieu, faire des storyboards c’est un métier à part entière et ce n’est pas le mien. Et puis des sacrifices pour qui, pour quoi ? Qu’ai-je à y gagner ?

Absolument rien.

Autant de détails qui se sont accumulés pour commencer à vraiment être de trop. Est-ce que mon portfolio a vraiment besoin d’un projet rushé associé à de mauvais souvenirs et est-ce que mon propre bien-être n’a-t-il pas un tout petit peu plus de valeur ? Est-ce que l’on a vraiment besoin de dépasser tout un tas de nos propres limites pour quelque chose auquel on ne pensera sans doute plus dans 5 ans ?

Alors j’en ai parlé à Flavien qui déjà dès le début se disait que ce n’était vraiment pas une bonne idée ce projet. Mais tu comprends, les Nations Unies c’est chouette quand même, et je pense en être capable, ça va juste être deux semaines compliquées et ça ira après (avec du recul, je suis sûre que ça aurait été une galère monstre). Puis j’ai écrit un petit brouillon de texte à envoyer pour mettre fin au projet. Juste à temps avant d’être enfermée par un contrat et d’être engagée par une signature. J’ai hésité longuement, je me suis sentie un peu nulle et coupable, j’en ai parlé à une amie (merci Julie pour ton aide précieuse !) et après quelques heures, je l’ai envoyé puis j’ai fermé mon ordinateur.

Ouf, c’était fait.

Le décalage horaire aidant je n’allais pas avoir de retour avant quelques heures de toute façon mais ça y est, je m’en étais détachée et je commençais déjà à me sentir un peu mieux. J’étais un peu stressée à l’idée de devoir convaincre si jamais le client venait à essayer de trouver une solution que je reste sur le projet… et en fait rien. Calme plat. Silence absolu. Je n’ai eu aucune réponse, j’ai été supprimée des groupes de discussions, et puis rien. Au moins ça s’est terminé de manière assez nette. Même si j’ai trouvé ça un peu abusé quand même (et tellement révélateur), de n’avoir absolument aucune réponse.

Mais tout ça j’aurais pu me l’éviter en disant non directement et en m’écoutant. 

C’est un truc qu’on a souvent du mal à faire, de réellement s’écouter, en tout cas en cas de situations pas trop graves où le « oh, ça peut le faire » vient vite s’immiscer sournoisement dans notre esprit, à nous faire croire que prendre sur soi est la seule solution alors qu’il y en a une autre, quand on en a la possibilité, qui serait de dire non. De se lever pour soi-même et de se protéger d’une certaine manière finalement ! De dire non pour se faire passer en priorité.

C’est fou parce qu’en 2026 donc, ça fera 10 ans que je fais ce métier. Que j’ai d’abord été graphiste puis illustratrice, mais en 10 ans on pourrait naïvement penser que l’on commence à être rodée, qu’on ne se fait plus avoir par soi-même. Que l’on sait dire non de manière tranchée, qu’on sait ce que l’on veut et ce que l’on ne veut pas. Et pourtant ! Ce rappel à l’ordre était visiblement nécessaire et m’a permis de mettre en place un outil imparable si je me retrouve de nouveau confrontée à une telle situation.

Il s’agit du petit tableau ci-dessous qui me permet d’envisager de manière très froide un nouveau projet pour ne pas uniquement décider avec le coeur mais surtout avec la raison. Chaque ligne est associée à un score que je dois donner de 1 à 5 pour obtenir à la fin un score total sur 40. L’addition totale me fait être en dessous d’une note de 28 ? C’est que le projet n’est pas assez bien pour que je dise oui. 

Je le trouve super ce tableau (et si c’est quelque chose qui peut vous aider dans votre quotidien, que vous soyez à votre compte ou pour n’importe quoi d’autre en en modifiant un peu son contenu je vous encourage vraiment à le reprendre !), il me permet de complètement mettre de côté mes émotions et le simple fait de voir qu’un nombre ne correspond pas à un seuil minimal me déleste complètement de toute potentielle culpabilité à l’idée de dire non. Comme si le « c’est pas moi qui décide, c’est le tableau » me retirait toute responsabilité. Et ça, j’adore. Je suis très partisane du fait que si l’on peut trouver des techniques pour se retirer un peu de charge mentale plutôt que d’essayer de prendre du temps et de l’énergie à travailler sur soi, alors autant foncer et opter pour cette solution là ! Et si ce type d’outil peut nous faire remarquer le type de situations où l’on dirait plutôt non que oui, c’est finalement une bonne solution pour peu à peu apprendre à s’écouter plus rapidement.

Mais savoir dire non c’est quelque chose qui est important tous les jours et pas que dans notre vie professionnelle. Est-ce que l’on est obligé d’en passer par là pour apprendre à le faire et à quel point est-ce que c’est quelque chose qui est lié à notre éducation et, peut-être, aux anciennes générations qui n’avaient pas tant la notion de consentement à l’esprit comme on peut l’avoir désormais ? Je pense notamment à cette manière de nous forcer ou de forcer des enfants à accepter que leur corps ne leur appartienne pas complètement lorsqu’il faut dire bonjour sans pouvoir refuser un bisou non demandé.

C’est long à déconstruire, cette manière de prendre sur soi et d’accepter que nos propres limites puissent être mal perçues et c’est dommage que ça ne vienne qu’avec l’âge. Et en même temps, est-ce que l’on peut vraiment y couper ? Est-ce que la vie ce n’est pas justement de passer par les mêmes étapes, les mêmes galères que tout le monde pour apprendre par soi-même, quitte à faire plusieurs fois les mêmes erreurs avant de finalement comprendre ? Mais peut-on tout de même, malgré tout, se trouver de temps à autre des béquilles qui pourraient nous aider à faire un tout petit peu moins d’erreurs, ou en tout cas faire en sorte qu’elles aient moins de conséquences ? Je parle ici d’une anecdote assez classique, d’accepter quelque chose en ignorant nos signaux internes, mais c’est valable pour tellement d’autres situations de vie, certaines avec des conséquences plus graves que d’autres. Souvent en parler autour de soi aide et dans ce type de situation, ce qui aidera toujours sera souvent le recul qu’ont les personnes autour de soi et le non-attachement émotionnel qu’elles peuvent avoir vis à vis d’une situation. Ici j’ai eu du mal à men détacher et à dire non dès le début parce que j’avais toujours en tête que c’était pour les Nations Unies (via l’intermédiaire d’une agence), que c’était chouette. Mais ce n’était absolument pas chouette et je trouve encore plus nul le fait de devoir prendre sur soi pour une bonne cause, comme si les deux ne pouvaient pas aller ensemble. Que l’on ne pouvait pas participer à un projet ayant une portée sociale terriblement importante tout en s’amusant dessus, qu’il faut forcément y associer de la peine. C’est nul, non ?

Vous avez eu une expérience de ce type qui vous a un peu fait réagir brusquement en vous rendant compte que vous vous mettiez de côté ? De mon côté la création de ce tableau va bien m’aider mais au quotidien, comment est-ce que l’on pourrait faire pour que ce soit un peu plus spontané et immédiat de se rendre compte que nos limites sont franchies ? Ce sujet m’interroge toujours beaucoup, j’ai la sensation que c’est un effort constant à faire sur soi-même quand ce n’est pas quelque chose que l’on fait déjà naturellement.

Sur ce, mille mercis de m’avoir lue ! J’espère que ce sujet a pu vous intéresser, il me trottait dans la tête depuis quelques semaines et j’avais très envie de vous le partager pour peut-être provoquer des conversations intéressantes autour. À la fin du mois je vais en France voir ma famille et des amis et je remercie mon moi-du-passé d’avoir toujours une liste à cocher pour remplir ma petite valise cabine, à force je suis devenue experte du voyage minimaliste avec le moins d’affaires possibles et je trouve ça assez satisfaisant d’avoir juste une petite valise et un sac à dos ! J’ai hâte de pouvoir manger des nuggets HappyVore, mon seul but d’aller en France finalement. Prenez bien soin de vous pour ce nouveau mois, c’est tellement une période agréable et toute cosy :)

  1. NDA : pour Non-Disclosure Agreement, un contrat protégeant les informations confidentielles d’un projet et vous obligeant à ne rien en révéler lorsque celui-ci est signé. ↩︎


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